peri-biblion
José Rizal: Nulle n’est
content de son sort[1]
(Dialogue)
Introducción
Vasco Caini
A principios de 1886, Rizal fue a Berlín con su amigo el
Dr. Máximo Viola, quien le ayudó a llevar y recibir los borradores de su novela
Noli me tangere a la tipografía.
Viola contó, a petición del amigo común Mariano Ponce, el
cronicón de su convivencia con Rizal, en una carta de fecha 16/01/1913 titulada
Mis viajes con el Dr. Rizal. En la carta relata que en
Berlín Rizal trató de perfeccionar sus conocimientos de francés mediante el
estudio de forma intensiva con una profesora parisiense Madame Lucie Cerdolle.
Sorprendido por tanto tesón, preguntó lo que debe servir y obtuvo la respuesta
que sigue:
Y cuando quise saber la razón de ser de aquel lujo
innecesario del francés, me explicó diciendo que su objeto era escribir en
adelante en francés, caso que su Noli me tangere fracasara, y sus paisanos no
respondieran a los propósitos de dicha obra.
(José Rizal, Diarios y memorias, Comisión Nacional
del Centenario de José Rizal, Tomo I, Manila, 1961, p. 316).
Pertenecen probablemente a este periodo varias
composiciones en francés, incluyendo la que presentamos en el idioma original.
Es acaso el único de sus escritos donde se nombra el socialismo y las huelgas. Se ve muy moderno y aplicable al día de
hoy.
- Me voici! J'ai entendu tes
plaintes, ouvrier; tu dis que tu travailles trop, que tu gagnes peu et ne
t'amuses guère. Tu veux changer d'état? Accordé! Que veux-tu devenir?
- O Fortune, vous me demandez ce que
je veux devenir? Mais vous le savez bien; je voudrais être l'inspecteur qui
nous tyrannise. Oh! comme je serais bon pour tous. Un inspecteur! en voilà un
qui est heureux, il n'a pas grande chose à faire! il n'a qu'à crier, à gronder,
à commander; il est bien payé, il est libre!
- Entendu! Tu seras inspecteur.
Heureusement j'en connais un qui envi le sort d'un laboureur. Tu prendras sa
place, ses pensées, ses plaisirs, ses inquiétudes; cours remplir tes nouvelles
fonctions… Eh bien! es-tu content?
- Mais, vous ne m'avez pas dit que
mon patron était aussi capricieux qu'exigeant, qu'il avait une humeur
fantasque. Il veut que tout aille à merveille, que rien ne manque, et il ne
paie pas assez pour qu'on puisse tenir son rang et être respecté des ouvriers.
Oh! si j'avais su qu'il était comme cela, certes, au lieu de désirer un emploi
subalterne, j'aurais voulu devenir patron!
- Hein?
- Puisque vous avez été si bonne...
- Tu veux maintenant
devenir patron, soit! Heureusement il y en a beaucoup qui veulent quitter les
affaires. Sois patron et jouis de ton sort; es-tu content?
- Je ne dis pas non…
- A la bonne heure!...
- Seulement...
- Quoi?
- Pardon, mais je ne pensais
pas… Par le temps qui court, tout n'est
pas rose dans la vie des patrons. Les grèves, les menaces, le socialisme! On
est toujours à la veille d'être assassiné, saccagé, ruiné, lapidé. Vous savez
que le capital ne rend plus grande chose, les risques sont énormes; les
chômages nous font perdre beaucoup; la concurrence abaisse les prix; les
impôts, les contributions, la guerre prennent le reste. Penser qu'on a
travaillé jour et nuit dans l'espoir de se reposer un jour avec sa famille et
s'éveiller un beau matin avec le socialisme et ses rêves évanouis!... Combien
j'envie l'insouciance de cet auteur qui me raillait hier au dîner du maire!
voilà un homme heureux; il vit paisiblement, il a ses loisirs; l'avenir ne le
préoccupe pas; il a tout ce qu'on peut désirer, il est fêté, invité partout,
admiré comme un homme d'esprit…
- Veux-tu devenir ce poète-là?
- Dame! si je le veux!
- C'est facile; il veut aussi devenir
épicier. Sois donc poète, sois auteur; aie de l'esprit. Va, sois heureux!
- La belle chose que d'avoir de l'esprit!
On vous invite, on vous fête pour être l'amusement de tous et la joie des sociétés
fades. Etre auteur. c'est se trouver à la merci des éditeurs et des libraires;
c'est se torturer la pensée et l'imagination nuit et jour pour faire naître une
idée que les imbéciles ne comprendront même pas, et que les gens d'esprit
l'écouteront avec indifférence, jaloux de votre renommée! L'écrivain est un
esclave à la merci de tout le monde; c'est la proie des critiques ignorants,
c'est un malheureux qui vit d'espérances et d'illusions et meurt de faim et de
misère. Voilà les épines qui se cachent sous les lauriers. Cela est beau d'être
poète, mais seulement quand on est mort! Chateaubriand, après avoir écrit
Atala, fit bien de devenir ministre! Il n'était pas bête lui! Un ministère,
c'est là qu'est la vraie puissance, la vraie gloire! Commander, avoir le sort
de ses compatriotes dans son portefeuille, passer devant la multitude
silencieuse et courbée; lire le respect, la peur, l'envie dans la figure des
autres!; pouvoir refuser les invitations, les accepter sans être obligé, sans
faire de l'esprit ni du sentiment, rester mystérieux, silencieux, muet; laisser
tomber de temps en temps un mot au milieu de l'attention générale, lancer un
regard protecteur… Ah! c'est là le vrai bonheur! c'est la vie!
- Veux-tu devenir ministre? Quel
portefeuille?
- Oh! n'importe lequel; j'aurai le
temps de me faire au métier.
- Sois donc ministre! Tes vœux,
sont-ils comblés?
- Ouf! La Chambre, l'opposition, les
envieux qui s'évertuent à trouver mauvais tout ce que vous trouvez bon! Allez
donc! Et les journaux, les hideux reptiles qui glissent leurs regards curieux
jusque dans votre alcôve, qui vous attaquent sans pitié, sans ménagement, sans
délicatesse. Ministre, on est à la merci de tout le monde. C'est un esclave
couvert d'or, respecté pendant qu'il est au pouvoir, méprisé quand il est
tombé; gladiateur dont la vie dépend des caprices du public et d'un signal de
son maître, le roi! Pas une nuit sans affreux cauchemars! Deux ou trois votes
de plus ou de moins et voilà l'impopularité, et votre souverain vous réduit au
néant. Oh! être souverain, n'être pas responsable, n'avoir rien à faire que de
signer, dormir, s'amuser pendant que les ministres veillent!...
- Ah! si j'étais roi!
- Roi? Veux-tu une couronne? Roi
constitutionnel ou absolu?
- Constitutionnel s'il vous plaît. Je
suis conséquent avec mes principes.
- Constitutionnel bon! Ca, fais ton
métier de roi!
- Mais, c'est ridicule, absolument
ridicule! Je suis une poupée mécanique, à la merci de mes ministres! Je n'ai
pas de volonté, pas d'initiative! Si je dois lire un discours, il faut que le
ministre le fasse; je suis son lecteur, voilà tout! Je ne peux pas contracter
des amitiés, des alliances; je ne peux pas voyager sans leur permission. Je
suis le moins libre dans mon royaume, A-t-on jamais vu? Mais c'est
insupportable! Je veux devenir absolu, être maître de moi-même et de mon
royaume, dois-je faire une révolution!
- Ne troubles pas le monde, mon cher!
Veux-tu devenir czar?
- Absolu, mais absolu!
- Te voilà czar absolu! Te voilà!
Mais tu soupires, ton front est soucieux…
qu'as-tu?
- Malheureux que je suis! Est-ce
vivre cela? Craindre, se méfier, et servir toujours? Ai-je deux jours
tranquilles, deux jours seulement, depuis que le sceptre de l'empire est dans
mes mains? Le danger me menace à chaque instant mystérieux et inattendu! Je ne
peux me fier à personne; je dois soupçonner tout et tâcher de noyer dans le
sang mes peurs et mes craintes. Ah! Heureux toi, Marc-Aurèle, heureux le roi
qui peut gouverner son peuple sans haines et sans soucis! Heureux le philosophe
qui, avec le sourire aux lèvres, peut assister tranquillement aux luttes
sociales sans y prendre part; qui voit paisible et calme éclater les révolutions,
s'écrouler les treilles et disparaître les dynasties! Ah! Alexandre, tu
n'enviais Diogène que parce que tu étais Alexandre, et moi, moi je l'envie!
- Veux-tu devenir philosophe? Quelle
secte?
- N'importe laquelle, pourvu que je
me débarrasse de ce lourd fardeau…
- Eh bien; sois le meilleur
philosophe! Es-tu heureux je suppose…
- Hélas, hélas! Heureux! J'ai
parcouru du regard toutes les classes de la Société et je n'ai vu que des
larmes! Comme l'enfant qui, ayant quitté le sein de sa mère, être égaré dans
les rues d'une grande ville, et pleure et marche toujours et ne se repose que
quand il la revoit, ainsi l'homme, le fils du néant, cherchera en vain le
bonheur, et gémira inutilement sous son sort; il ne sera jamais heureux tant
qu'il ne retournera pas au sein de la mort.
[1] José Rizal, Prosa, Comisión Nacional del Centenario de José Rizal, Tomo III, Obras literarias, Libro segundo, Instituto Histórico Nacional, Manila, 1995, pp. 200-204.