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Revista de estudios filológicos
Nº23 Julio 2012 - ISSN 1577-6921
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peri-biblion

José Rizal: Nulle n’est content de son sort[1]

(Dialogue)

 

Introducción

Vasco Caini

 

 

A principios de 1886, Rizal fue a Berlín con su amigo el Dr. Máximo Viola, quien le ayudó a llevar y recibir los borradores de su novela Noli me tangere a la tipografía.

Viola contó, a petición del amigo común Mariano Ponce, el cronicón de su convivencia con Rizal, en una carta de fecha 16/01/1913 titulada Mis viajes con el Dr. Rizal. En la carta relata que en Berlín Rizal trató de perfeccionar sus conocimientos de francés mediante el estudio de forma intensiva con una profesora parisiense Madame Lucie Cerdolle. Sorprendido por tanto tesón, preguntó lo que debe servir y obtuvo la respuesta que sigue:

Y cuando quise saber la razón de ser de aquel lujo innecesario del francés, me explicó diciendo que su objeto era escribir en adelante en francés, caso que su Noli me tangere fracasara, y sus paisanos no respondieran a los propósitos de dicha obra.

(José Rizal, Diarios y memorias, Comisión Nacional del Centenario de José Rizal, Tomo I, Manila, 1961, p. 316).

Pertenecen probablemente a este periodo varias composiciones en francés, incluyendo la que presentamos en el idioma original. Es acaso el único de sus escritos donde se nombra el socialismo y las huelgas. Se ve muy moderno y aplicable al día de hoy. 

 

 

 

- Me voici! J'ai entendu tes plaintes, ouvrier; tu dis que tu travailles trop, que tu gagnes peu et ne t'amuses guère. Tu veux changer d'état? Accordé! Que veux-tu devenir?

- O Fortune, vous me demandez ce que je veux devenir? Mais vous le savez bien; je voudrais être l'inspecteur qui nous tyrannise. Oh! comme je serais bon pour tous. Un inspecteur! en voilà un qui est heureux, il n'a pas grande chose à faire! il n'a qu'à crier, à gronder, à commander; il est bien payé, il est libre!

- Entendu! Tu seras inspecteur. Heureusement j'en con­nais un qui envi le sort d'un laboureur. Tu prendras sa place, ses pensées, ses plaisirs, ses inquiétudes; cours remplir tes nouvelles fonctions…  Eh bien! es-tu content?

- Mais, vous ne m'avez pas dit que mon patron était aussi capricieux qu'exigeant, qu'il avait une humeur fantasque. Il veut que tout aille à merveille, que rien ne manque, et il ne paie pas assez pour qu'on puisse tenir son rang et être respecté des ouvriers. Oh! si j'avais su qu'il était comme cela, certes, au lieu de désirer un emploi subalterne, j'aurais voulu devenir patron!

- Hein?

- Puisque vous avez été si bonne...

- Tu veux maintenant devenir patron, soit! Heureuse­ment il y en a beaucoup qui veulent quitter les affaires. Sois patron et jouis de ton sort; es-tu content?

- Je ne dis pas non…

- A la bonne heure!...

- Seulement...

- Quoi?

- Pardon, mais je ne pensais pas…  Par le temps qui court, tout n'est pas rose dans la vie des patrons. Les grèves, les menaces, le socialisme! On est toujours à la veille d'être assassiné, saccagé, ruiné, lapidé. Vous savez que le capital ne rend plus grande chose, les risques sont énormes; les chômages nous font perdre beaucoup; la concurrence abaisse les prix; les impôts, les contributions, la guerre prennent le reste. Penser qu'on a travaillé jour et nuit dans l'espoir de se reposer un jour avec sa famille et s'éveiller un beau matin avec le socialisme et ses rêves évanouis!... Combien j'envie l'insouciance de cet auteur qui me raillait hier au dîner du maire! voilà un homme heureux; il vit paisiblement, il a ses loisirs; l'avenir ne le préoccupe pas; il a tout ce qu'on peut désirer, il est fêté, invité partout, admiré comme un homme d'esprit…

- Veux-tu devenir ce poète-là?

- Dame! si je le veux!

- C'est facile; il veut aussi devenir épicier. Sois donc poète, sois auteur; aie de l'esprit.  Va, sois heureux!

- La belle chose que d'avoir de l'esprit! On vous invite, on vous fête pour être l'amusement de tous et la joie des socié­tés fades. Etre auteur. c'est se trouver à la merci des éditeurs et des libraires; c'est se torturer la pensée et l'imagination nuit et jour pour faire naître une idée que les imbéciles ne comprendront même pas, et que les gens d'esprit l'écouteront avec indifférence, jaloux de votre renommée! L'écrivain est un esclave à la merci de tout le monde; c'est la proie des critiques ignorants, c'est un malheureux qui vit d'espérances et d'illusions et meurt de faim et de misère. Voilà les épines qui se cachent sous les lauriers. Cela est beau d'être poète, mais seulement quand on est mort! Chateau­briand, après avoir écrit Atala, fit bien de devenir ministre! Il n'était pas bête lui! Un ministère, c'est là qu'est la vraie puissance, la vraie gloire! Commander, avoir le sort de ses compatriotes dans son portefeuille, passer devant la multi­tude silencieuse et courbée; lire le respect, la peur, l'envie dans la figure des autres!; pouvoir refuser les invitations, les accepter sans être obligé, sans faire de l'esprit ni du sentiment, rester mystérieux, silencieux, muet; laisser tomber de temps en temps un mot au milieu de l'attention générale, lancer un regard protecteur… Ah! c'est là le vrai bon­heur! c'est la vie!

- Veux-tu devenir ministre? Quel portefeuille?

- Oh! n'importe lequel; j'aurai le temps de me faire au métier.

- Sois donc ministre! Tes vœux, sont-ils comblés?

- Ouf! La Chambre, l'opposition, les envieux qui s'éver­tuent à trouver mauvais tout ce que vous trouvez bon! Allez donc! Et les journaux, les hideux reptiles qui glissent leurs regards curieux jusque dans votre alcôve, qui vous at­taquent sans pitié, sans ménagement, sans délicatesse. Ministre, on est à la merci de tout le monde. C'est un esclave couvert d'or, respecté pendant qu'il est au pouvoir, méprisé quand il est tombé; gladiateur dont la vie dépend des caprices du public et d'un signal de son maître, le roi! Pas une nuit sans affreux cauchemars! Deux ou trois votes de plus ou de moins et voilà l'impopularité, et votre souverain vous réduit au néant. Oh! être souverain, n'être pas responsable, n'avoir rien à faire que de signer, dormir, s'amuser pendant que les ministres veillent!...

- Ah! si j'étais roi!

- Roi? Veux-tu une couronne? Roi constitutionnel ou absolu?

- Constitutionnel s'il vous plaît. Je suis conséquent avec mes principes.

- Constitutionnel bon! Ca, fais ton métier de roi!

- Mais, c'est ridicule, absolument ridicule! Je suis une poupée mécanique, à la merci de mes ministres! Je n'ai pas de volonté, pas d'initiative! Si je dois lire un discours, il faut que le ministre le fasse; je suis son lec­teur, voilà tout! Je ne peux pas contracter des amitiés, des alliances; je ne peux pas voyager sans leur permis­sion. Je suis le moins libre dans mon royaume, A-t-on jamais vu? Mais c'est insupportable! Je veux devenir absolu, être maître de moi-même et de mon royaume, dois-je faire une révolution!

- Ne troubles pas le monde, mon cher! Veux-tu devenir czar?

- Absolu, mais absolu!

- Te voilà czar absolu! Te voilà! Mais tu soupires, ton front est soucieux…  qu'as-tu?

- Malheureux que je suis! Est-ce vivre cela? Craindre, se méfier, et servir toujours? Ai-je deux jours tranquilles, deux jours seulement, depuis que le sceptre de l'empire est dans mes mains? Le danger me menace à chaque instant mystérieux et inattendu! Je ne peux me fier à personne; je dois soupçonner tout et tâcher de noyer dans le sang mes peurs et mes craintes. Ah! Heureux toi, Marc-Aurèle, heu­reux le roi qui peut gouverner son peuple sans haines et sans soucis! Heureux le philosophe qui, avec le sourire aux lèvres, peut assister tranquillement aux luttes sociales sans y prendre part; qui voit paisible et calme éclater les révolu­tions, s'écrouler les treilles et disparaître les dynasties! Ah! Alexandre, tu n'enviais Diogène que parce que tu étais Alexandre, et moi, moi je l'envie!

- Veux-tu devenir philosophe? Quelle secte?

- N'importe laquelle, pourvu que je me débarrasse de ce lourd fardeau…

- Eh bien; sois le meilleur philosophe! Es-tu heureux je suppose…

- Hélas, hélas! Heureux! J'ai parcouru du regard tou­tes les classes de la Société et je n'ai vu que des larmes! Comme l'enfant qui, ayant quitté le sein de sa mère, être égaré dans les rues d'une grande ville, et pleure et marche toujours et ne se repose que quand il la revoit, ainsi l'homme, le fils du néant, cherchera en vain le bonheur, et gémira inu­tilement sous son sort; il ne sera jamais heureux tant qu'il ne retournera pas au sein de la mort.

 



[1] José Rizal, Prosa, Comisión Nacional del Centenario de José Rizal, Tomo III, Obras literarias, Libro segundo, Instituto Histórico Nacional, Manila, 1995, pp. 200-204.